Un entre-deux

Ça restera entre nous

Je n’étais pas consentante

Je pense à ce texte depuis une bonne semaine. Rectification : je pense à ce texte depuis des années. Je suis seule derrière mon écran et je réalise qu’à de multiples reprises, dans ma vie personnelle, je n’étais pas consentante. Mes doigts sont figés et n’arrivent pas à taper les mots justes. Ma tête vacille et n’arrive pas à trouver les mots justes. Mon coeur est étourdi et n’arrive pas à exprimer les mots justes. Je ne suis pas non plus toute blanche. J’ai certainement eu, au cours de ma vie, des propos déplacés, comme tout le monde. L’excuse facile, certes, mais j’ose croire que ce n’est plus le cas, compte tenu de mon passé.

Je me rappelle de ma mère qui « nous parlait en tant qu’infirmière » en faisant notre éducation sexuelle, à mes frères et moi. Étrangement, le discours n’était pas le même pour tous. En même temps, c’est un peu normal : j’ai plusieurs années d’écart avec mes frères. Ma mère leur a toujours dit de respecter les femmes peu importe les gestes qu’ils posaient. Elle n’a jamais eu ce discours avec moi. L’école non plus.

J’ai eu mes premiers cours d’éducation sexuelle vers l’âge de 10 ans. J’ai aujourd’hui 24 ans et je n’ai réalisé que dans les deux dernières années que j’avais le droit de retirer mon consentement à tout moment. À. TOUT. MOMENT. Je n’en veux pas à ma mère. Je n’en veux pas à l’école. Ce n’était pas quelque chose dont on parlait, le consentement. Mais maintenant, c’est bien plus qu’un buzzword. C’est une réalité. Une réalité qui, une fois de plus, dépasse la question de la sexualité.

Je réalise aujourd’hui que j’ai longtemps excusé des comportements dits répréhensibles. Oui, DES comportements. Parce qu’il y en a eu plusieurs. Provenant d’hommes ET de femmes (oui, oui!). Et chaque fois, je croyais que c’était de ma faute. Que je l’avais cherché. Que je ne voulais pas assez. Que je devais faire plaisir. Que c’était normal d’être traité et de me sentir ainsi. Je ne me croyais pas moi-même. Et je pense que c’est ça qu’il y a de plus terrible, dans l’histoire. 

Je n’ai pas envie d’entrer dans les détails de ces événements, question de protéger le peu d’intimité qu’il me reste. Je n’ai pas non plus envie de nommer ces gens, pour la simple et bonne raison que je leur ai accordé déjà beaucoup trop d’importance avant d’accepter qu’ils étaient tout simplement toxiques pour moi. Je ne leur souhaite pas de mal non plus. Mais j’ai envie de raconter et d’enfin me croire. 

À toi, le voisin de ma grand-mère, qui a eu des propos misogynes autour de sa table, malgré que tu étais le seul homme de la pièce. Toi qui aurais déjà posé un – voire plusieurs – regard malsain sur moi et aimais que je m’assois sur tes genoux, alors que j’avais moins de 10 ans. Je n’étais (clairement) pas consentante. 

À toi, la réceptionniste de la clinique où mon copain de l’époque travaillait et qui l’a appelé pour discuter de mon dossier médical. Toi qui s’est permise de faire du small talk avec ton collègue, juste parce que tu me connais. Toi qui s’est immiscée dans notre couple jusqu’à le briser. Toi qui a rompu le secret professionnel et qui a fait en sorte que mon copain choisisse sa job plutôt que moi. Merci de m’avoir ouvert les yeux, mais je n’étais pas consentante. 

À toi, le gars qui m’a traité de pute à la sortie du métro de Paris, aux petites heures du matin, parce que j’allais attraper un bus pour rentrer chez moi. Toi, qui as bien vu que j’étais emmitouflée de la tête aux pieds, col roulé et pantalons longs à l’appui. Je n’étais pas consentante.

À toi, que j’ai connu à l’université et envers qui j’avais un intérêt. Toi qui m’envoyais des messages exprimant très clairement ton désir et qui est venu chez moi au milieu de la nuit, soi-disant « juste pour dormir ». Je t’ai cru, mais arrivé sur place, tu as renchéri, jouant sur le fait que je te trouvais de mon goût. J’ai cédé, le « non » ne sortant pas de ma bouche. Je sens encore tes bras, qui m’ont causé des douleurs pendant des jours, sur ma cage thoracique. Je n’étais pas consentante. 

À vous, mes anciens patrons et collègues qui faisaient des blagues salaces et avaient des propos déplacés sur les femmes. Vous, qui profitiez de la dominance masculine dans l’équipe pour soutirer des rires en approbation. Même si je n’étais pas visée directement par vos propos, je n’étais pas consentante.

À toi, le gars qui m’a envoyé une dickpic par message texte, alors que j’étais au travail. Toi à qui je n’avais rien demandé, encore moins d’être exposée à un pénis pendant ma pause dîner. Je n’étais pas consentante. 

À toi, mon ancienne patronne, qui as lancé des rumeurs sur ma vie privée et m’a harcelé psychologiquement. Toi qui as remis en question mon éthique professionnelle. Toi qui as laissé sous-entendre que j’entretenais une relation intime avec un supérieur, ce qui me plaçait en conflit d’intérêt. Toi qui m’as fait perdre confiance en moi, en mon employeur et en l’être humain et qui m’a fait passé par un long processus de réparation. Je n’étais pas consentante. 

À toi, le gars que je ne connais pas qui m’a tiré les cheveux à deux reprises lors d’un 5 à 8. Toi qui as bien vu ma réaction et qui s’est marré avec son ami, qui lui, m’a flatté la tête comme si j’étais une chienne. Je n’étais pas consentante. 

Oui, c’est important d’éduquer les garçons. Mais ça ne devrait pas se restreindre à ça. Tout le monde devrait l’être : homme, femme, garçon, fille, non-binaire, trans… Tout le monde. Et pas uniquement sur la question de la sexualité. Sur toutes les questions qui nécessitent un consentement. Parce que je n’ai plus envie de vous excuser. Et je n’ai surtout plus envie de m’excuser. Je me crois et c’est tout ce qui compte.

One Reply to “Je n’étais pas consentante”

  • Salut, je viens de lire ton texte et bravo! Ça met en perspective le regard que peut avoir la femme face au consentement. Tu as raison! Trop souvent nous les hommes, sommes trop facilement pardonnés de nos langues sales, de nos gestes crasses et de nos regards qui déchirent plus qu’un morceau de linge. Pourquoi? Parce que c’est bien plus simple de ne pas prendre nos responsabilités et le blâme qui nous ait dû. Merci pour ton texte, tu m’as conscientisé sur ta réalité et celle de bien d’autres. Bons succès et bonne journée!

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